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Conférence-débat sur l’action de groupe en justice

21 janvier 2017

A l’issue de l’Assemblée Générale, Tifenn Clément, notre secrétaire, a présenté ce nouveau dispositif. Me Felissi est également intervenu pour apporter des précisions et répondre aux questions aux côtés de Tifenn.

Contexte : La possibilité de mener une action de groupe en matière de santé a été introduite par la loi du 26 janvier 2016 suivie du décret du 26 septembre 2016, publié au JO le lendemain, précisant les conditions de mise en œuvre.

Cette action vient dans le prolongement de celle reconnue en 2014 aux consommateurs.

Elle permet donc à une association d’usagers du système de santé (485 à ce jour) d’agir en justice pour le compte d’un groupe de patients, victimes d’un dommage corporel similaire en vue d’obtenir réparation de leur préjudice. Est-ce pour autant que les personnes seront mieux ou plus vite indemnisées ? Rien n’est moins sûr.

Conditions 

L’association requérante doit être agréée.

L’action doit être faite au nom de patients dans une situation similaire, subissant le même dommage corporel pour une cause commune, à savoir la défaillance du même médicament, du même cosmétique, du même appareil médical.

Sont donc exclus les préjudices « seulement » moraux (ex : incapacités au travail du patient et de son entourage).

Le décret prévoit, cependant, d’agir selon les voies de droit commun pour obtenir la réparation des dommages n’entrant pas dans le champ d’application prévu. Le patient mènerait donc 2 procédures !

Par ailleurs, les préjudices corporels en matière de santé sont souvent multifactoriels et peuvent engager une chaîne de responsabilités complexe. Ils sont rarement identiques d’une personne à l’autre et le lien de causalité est encore délicat pour certains des effets de l’exposition au DES. L’individualisation incontournable de l’action fait obstacle par nature à sa rapidité et la constitution d’un groupe ne va pas l’accélérer. En effet, ces contentieux « de masse » ne permettront pas d’accélérer le traitement individuel de chaque cas, les fondamentaux de l’indemnisation du préjudice corporel restant les mêmes. Non seulement les délais de procédure en vigueur ne seront pas raccourcis, mais les règles du droit de la responsabilité du fait des produits de santé – d’origine européenne – ne sont évidemment pas modifiées par le texte.

Les attaques sont menées contre les professionnels de santé, les prescripteurs, les hôpitaux mais jamais contre l’Administration ni l’Etat.

Procédure

Champs d’action du juge :

Une fois le groupe constitué, le juge saisi de l’action de groupe, après avoir examiné les dossiers individuels :

  • définit le groupe des usagers à l’égard desquels la responsabilité de l’auteur des dommages est engagée et fixe les critères de rattachement à ce groupe,
  • détermine les dommages corporels susceptibles d’être réparés,
  • lorsqu’il reconnaît la responsabilité de l’auteur des dommages causés, ordonne, à la charge de celui-ci, les mesures de publicité du jugement pour informer de cette décision les personnes susceptibles d’avoir subi un dommage,
  • fixe le délai entre 6 mois et 5 ans, dont disposent les patients, remplissant les critères de rattachement au groupe et souhaitant se prévaloir du jugement pour y adhérer afin d’obtenir la réparation de leurs préjudices. Le délai court à compter de la fin des publicités ordonnées.


La procédure durera donc entre 7 et 10 ans. Elle ne sera donc pas véritablement beaucoup plus courte que les procédures individuelles !

Phases de la procédure

La loi ne prévoyant aucune phase préalable de recevabilité, il faudra attendre au moins un an avant le premier jugement sur les éventuelles recevabilités et responsabilités. Quant aux in- demnisations, dans l’hypothèse d’un jugement de responsabilité, il faudra probablement at- tendre plusieurs années (dont le temps incompressible de l’expertise) avant d’être fixés, étant précisé qu’il ne semble pas qu’aient été donnés aux tribunaux les moyens de s’organiser pour absorber ce type de recours collectifs. Quoi qu’il en soit, en l’état du droit de la responsabilité, les mêmes causes produiront les mêmes effets, mais en attendant, entreprises et tribunaux devront gérer.

Problème du financement de la procédure

La demande de réparation est adressée soit directement par le patient, soit par l’association requérante qui reçoit alors mandat aux fins d’indemnisation.
Le mandat ne vaut ni n’implique l’adhésion à cette association et l’association doit faire l’avance de tous les frais inhérents à la procédure. Se pose donc très clairement le problème de financement pour des associations telle que la nôtre dont le budget est déjà serré !
Le patient doit fournir à l’association sa qualité d’assuré social, les organismes de sécurité sociale auxquels il est affilié, les prestations reçues à recevoir de ces organismes ou de tiers dans le cadre du dommage subi afin que ceux-ci fassent valoir leurs créances contre le responsable.
L’association informe alors du mandat reçu auprès de ces créanciers…

Le juge peut condamner le défendeur au paiement d’une provision à valoir sur les frais non compris dans les dépens exposés par l’association.

Au terme de la procédure, l’indemnisation est individuelle. Toute somme reçue par l’association au titre de l’indemnisation des patients est immédiatement versée sur un compte de dépôt à la Caisse de Dépôts et Consignation. Les seules opérations de débit possibles sont les versements aux patients.

En cas de non-versement par le responsable des sommes prévues, les patients peuvent saisir le juge. Le mandat aux fins d’indemnisation donné à l’association vaut mandat aux fins de représentation dans les actions liées à la non exécution du jugement et à son exécution forcée. Qui règle les honoraires ? De nouveau l’association (dépens, assignation, huissier). L’association peut s’adjoindre tout professionnel judiciaire pour l’assister, étant entendu que c’est elle qui en réglera les honoraires.

Recherche d’accord amiable

Le juge peut avec l’accord des parties charger un médiateur, éventuellement assisté d’une commission, d’établir une convention réglant les conditions de l’indemnisation amiable des dommages qui font l’objet de l’action de groupe.

La convention d’indemnisation amiable fixe les conditions dans lesquelles les réparations seront effectuées :

  •  le type de dommages corporels
  •  les modalités d’expertise individuelle
  •  les conditions de prise en charge des expertises
  •  les conditions de présentation des offres transactionnelles
  •  le délai dans lequel doivent intervenir les demandes de réparation
  •  les modalités de suivi
  •  les mesures de publicité

La convention d’indemnisation est proposée aux parties par le médiateur. Elle doit être acceptée par l’association requérante et au moins une personne mise en cause. L’homologation met fin à l’action.

Conclusions 

Nous sommes certes, plus forts à plusieurs que tout seul. L’idée de l’action de groupe est bonne et est nécessaire :

  • Parce que l’on bénéficie déjà des avancées non négligeables en matière judiciaire grâce aux jurisprudences déjà obtenues (sur la faute des laboratoires ; sur la reconnaissance de certains préjudices; sur le fait que l’ordonnance n’est plus systématiquement obligatoire dans des cas précis ; sur le fait que les 2 labos sont maintenant considérés comme un groupe).
  • En cas de victoire, c’est l’obtention d’une reconnaissance globale, qui est tout de même très attendue, exprimée couramment par les familles DES), ce qui pourrait aider de nombreuses personnes à se reconstruire.
  • Cette reconnaissance peut avoir un effet positif quant à une responsabilisation des laboratoires.
  • Lancer une action de groupe suspend les délais de prescription pour les préjudices pour lesquels on a demandé une reconnaissance, donc cela laisse le temps aux victimes de constituer leur dossier personnel.
  • C’est très certainement la seule possibilité qui sera jamais offerte d’aider les victimes du DES dont « les dommages n’appartiennent pas totalement au passé (ex : les familles dont un enfant est handicapé, ainsi que les femmes ayant eu un cancer ACC).

Cependant, les conditions de cette action telle qu’elle est définie ne sont pas adaptées.

  • Comment constituer le groupe alors que les dommages sont différents d’un groupe de victimes DES à un autre ?
  • Faut-il plusieurs actions pour chaque catégorie de dommages (cancers, stérilité….) ? Quid des patients présentant plusieurs dommages caractéristiques ?
  • D’un point de vue pécuniaire : faire partie du groupe ne vaut pas adhésion à l’association….Se pose donc clairement le problème du FINANCEMENT dès le début de la constitution du groupe, puis tout au long de la procédure puisque « le mandat emporte avance par l’association de toutes les dépenses et frais liés à la procédure et représentation des usagers ». Elle devra assumer également le risque procédural (cassation, cour d’appel de renvoi… et paiement des dépens en cas de défaite.)
    Autrement dit, sans réserve suffisante, l’association ne pourra mener cette action.

En outre, ce n’est qu’avec la victoire définitive sur la responsabilité, que le juge se prononcera sur le mode d’indemnisation individuelle. Il est donc possible que l’action de groupe aboutisse en fait à des procès individuels (pour évaluer la causalité du DES dossier par dossier puis le montant d’indemnisation dossier par dossier). Cela augmenterait d’autant le délai du procès, son coût et le risque procédural… toujours assumés par l’association requérante.

En l’état actuel des choses, la meilleure voie d’indemnisation et la plus rapide reste individuelle et est celle des commissions de conciliation et d’indemnisation et de l’Oniam : cette procédure administrative, créée par la loi du 4 mars 2002, permet l’indemnisation rapide des personnes et un renvoi des entreprises et de l’Oniam devant les tribunaux en cas de désaccord sur les res- ponsabilités. Elle n’est pas possible pour nous, victimes du DES, puisque l’acte médical en cause doit être postérieur au 5/09/01.

La logique et la simplicité auraient voulu que cette procédure soit adaptée pour pouvoir intégrer les demandes collectives, c’est le choix de la judiciarisation qui a été fait.

Quant aux entreprises pharmaceutiques, il est probable qu’elles vont devoir faire face à une augmentation des contentieux – dont un certain nombre seront non fondés – générés par les espoirs suscités par la mise en place de cette procédure et le champ large des associations habilitées.

Si elles ne s’avéraient pas plus efficaces ou plus « rentables » financièrement que les plaintes classiques, les actions de groupe devraient tout de même faire office d’épouvantail, et servir la cause des patients en quête d’indemnisation.

Questions dans la salle

C’est l’association qui supporte tous les frais et tous les risques… Une association peut-elle demander des dons à des bienfaiteurs pour engager une telle action ?

Oui, c’est en effet possible mais il est impossible de savoir ce que cela coûterait : par exemple, ce serait fonction du nombre de groupes qu’il faudrait constituer, puisque dans le cas du DES, il y a plusieurs dommages corporels possibles.

Autrement, dit, c’est une avancée sur le papier…

Nous avons en effet été très déçus lorsque le décret d’application a été publié…

L’association Dépakine vient pourtant de lancer une telle action…

Le scandale de la Dépakine est récent et très médiatisé ; ils souhaitent un coup d’éclat et utilisent toutes les voies : pénal, civil individuel, tribunal administratif, fonds d’indemnisation et action de groupe. Pour cette dernière, ils ont un accord avec leur avocat

Le scandale de la Dépakine intervient à un période où la société est sensibilisée aux scandales médicamenteux, ne les accepte plus, ce qui n’était pas le cas quand le scandale du DES a éclaté.

Le Réseau DES France n’aurait-il pas intérêt à lancer lui aussi une telle action, ne serait-ce que pour obtenir une couverture médiatique, rappeler le scandale du DES ?

Le problème c’est de garder une crédibilité, vis-à-vis de tous nos interlocuteurs, et en particulier vis-à-vis de nos adhérents.

La FNATH a pris contact avec la Secrétaire d’Etat aux victimes : avant Noël, pour elle il n’existait qu’une seule catégorie de victimes, celles du terrorisme. Suite à nos arguments, son point de vue a évolué et le sujet des victimes des scandales sanitaires devient une priorité. La difficulté est qu’il ne lui reste pas beaucoup de temps pour agir avant les élections présidentielles. Ce que nous espérons, c’est qu’enfin le problème soit pris en charge dans sa globalité, avec une solution proche de celle de la loi Badinter qui a permis la prise en charge des victimes d’accidents de la circulation. Il faudrait arriver à supprimer la notion de preuve de l’imputabilité certaine du dommage (le risque mentionné sur la notice devrait être suffisant, par exemple), quitte à ce que ce soit la collectivité qui prenne en charge le risque, ou via une taxe sur les boites de médicaments.

Si au moins nous avions la prise en charge à 100% du suivi médical dont nous avons besoin ! Ce serait tout de même une vraie reconnaissance que de l’obtenir. Non seulement nous sommes victimes, mais en plus nous payons tout !

C’est un sujet auquel nous avons réfléchi à plusieurs reprises ; c’est très compliqué à obtenir. Mais effectivement, l’évolution des conséquences du DES, avec ce risque accru de cancer du sein, constitue un nouvel argument à mettre en avant. Nous allons consulter autour de nous pour trouver la meilleure façon d’avancer sur ce sujet.