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Hommage au Dr Anne Cabau, décédée le 1er juillet 2018.

10 septembre 2018

Le Dr Anne Cabau était spécialisée en infertilité et psychosomatique.

Ses travaux sur le Distilbène, publiés dans le Monde en 1983, lancèrent l’alerte. Son engagement pour faire connaître et reconnaître les conséquences du DES n’a jamais faibli et son rôle pour notre Association fut prépondérant.

Son ouvrage, Pour que l’enfant paraisse, publié en 1990, montre à quel point, pour elle, l’important était la personne dans sa globalité.

Sa détermination, sa simplicité nous manqueront.

Un site pour témoigner, vous manifester auprès de ses enfants : anne-cabau.fr

Au Père Lachaise, à Paris le 9 juillet… Anne Levadou est intervenue lors de la cérémonie des obsèques.

L’association Réseau D.E.S. France que je représente est endeuillée par le décès du docteur Anne Cabau.

Je suis comme beaucoup de femmes et d’hommes en France, reconnaissante à Anne du travail d’enquête sur les effets néfastes du Distilbène, débuté en 1981 et publié en 1982. En 1983, l’article dans le journal Le Monde, intitulé « Une monumentale erreur médicale : les enfants du Distilbène », alertera les personnes concernées.

En 1988, domiciliée aux Pays-Bas depuis de longues années, nous apprenons que notre fille est touchée par un cancer lié à son exposition au Distilbène.

Infirmière dans un centre médical, je sais que les professionnels de santé sont régulièrement informés des avancées des travaux scientifiques menés aux USA.

Ainsi notre fille bénéficiera de leurs connaissances et nous serons accompagnés par une équipe compétente, mais aussi à notre écoute.

Une association Distilbène existe aux Pays-Bas, regroupant des personnes concernées ; elle est en lien avec les USA, elle informe et elle est à l’écoute.

Je rencontre une des co-fondatrice ; quelques mois plus tard, elle me fera part des difficultés relationnelles entre l’association française et les associations internationales.

Je suis encouragée à contacter en France les dissidentes de cette association. Parallèlement, à Paris, une amie prend rendez-vous avec Anne et leurs échanges la conduisent à exprimer son souhait de me rencontrer.

C’est donc fin 1989 que nos chemins se croiseront.

Je garde le souvenir d’avoir pu m’exprimer sur l’importance qu’avait eue la lecture de cet article dans Le Monde, rapporté ce que notre fille m’avait dit : « heureusement que tu m’avais informée avant mon cancer ».

L’information n’avait pas évité le cancer, mais permis un diagnostic précoce.

En France « ne pas affoler les femmes qui avaient eu ce traitement Distilbène », fut l’argument retenu par certains médecins et responsables au ministère pour ne pas informer. Anne partageait avec moi combien c’était peu respectueux. Elle m’encouragea à créer une association et à rencontrer les Pr Papiernick, Pons,Tournaire.

En 1990, après 20 ans d’expérience auprès de couples stériles, elle publie l’ouvrage Pour que l’enfant paraisse.

Elle disait : « expliquer, informer pour que la personne participe au traitement, pour diminuer l’angoisse provoquée par des craintes imprécises ». Cela s’appliquait aussi aux « filles Distilbène », auxquelles elle a consacré plusieurs pages.

L’information fut donc d’emblée le premier but de notre association.

Anne participe à la première réunion, avec la co-fondatrice de l’association américaine Pat Cody.

Elle est co-rédactrice avec les Pr Pons et le Dr Sylvie Epelboin de notre première brochure d’information, qui se présente sous forme de questions/réponses.

Nous étendons les réunions à la province ; pour les organiser, Anne puise dans son carnet d’adresses.

Lors de mes séjours parisiens, je viens rue Charles Floquet et j’échange avec Anne sur les difficultés que nos adhérentes rencontrent pour être bien suivies, certaines ayant des traitements inadéquats.

Bien naturellement, elle fera partie de notre Conseil Scientifique, sera présente à toutes nos réunions, participera à tous nos travaux, y compris à l’étude initiée à partir de 2013 par l’association.

La vie associative n’est pas un long fleuve tranquille… Anne sera toujours là pour m’écouter, pour m’encourager à dépasser les déceptions, pour continuer à nous battre, ne pas s’arrêter aux échecs mais avancer.

Il arrivait que le sujet Distilbène ne prenne pas toute la place. Rue Floquet, Maria m’introduisait et Anne m’appelait : « venez me rejoindre, je donne le bain à mes petits-enfants » : moments de détente, de tendresse partagés. Plus tard, nous parlions de cinéma, de randonnée, voyages, de campagne et confitures.

Anne sera toujours là pour m’écouter, pour m’encourager

à dépasser les déceptions, pour continuer à nous battre, ne pas s’arrêter aux échecs mais avancer.

Anne est venue nous voir aux Pays-Bas ; là encore nous avons mis entre parenthèses le Distilbène…

Le temps a passé et l’histoire du Distilbène est toujours d’actualité ; nous sommes confrontées à la réapparition du cancer lié au Distilbène. En mars, lorsque je suis venue rencontrer Anne, elle m’a demandé : « Alors, où en êtes- vous?»

Aujourd’hui, à mon amie, je réponds : le combat continue ; informer encore et toujours, écouter, partager, pour poursuivre le chemin que vous avez ouvert.

Christian Bobin écrit :

Nous n’habitons pas des régions.

Nous n’habitons pas la Terre,

Le cœur de ceux que nous aimons est notre vraie demeure.

Anne Levadou

Génèse d’un livre

Le Dr Anne Cabau était spécialisée en infertilité et psychosomatique. Pour La Lettre, Marie-Pierre Levallois a accepté de relater l’histoire de cet ouvrage qui est mêlée à son propre parcours.

J’ai consulté le Dr Anne Cabau pour la première fois en 1973. J’avais 16 ans et, marquée par les grossesses non désirées à répétition que subissait ma mère alors qu’elle avait déjà 4 enfants, je m’étais juré de prendre la pilule avant que rien de fâcheux ne m’arrive… Anne en avait été très surprise car, m’expliqua-t-elle, les jeunes filles venaient la voir après des premiers rapports non protégés. Un peu interloquée aussi par mon extrême prudence…

“ Vous pouvez remercier le Dr Cabau, elle vous a sauvé la vie…”

Quelques années plus tard, je me mis à souffrir d’un léger mal de ventre et d’une petite fièvre persistante, mais en pleine canicule de juillet, je mis cela sur le compte de la fatigue et de la chaleur. Et Anne Cabau était en vacances. La douleur augmentant, j’ai fini par consulter successivement trois médecins, des hommes qui tous m’ont assuré que « je n’avais rien ». Pourtant, à l’évidence, j’avais quelque chose : je le sentais par toutes les fibres de mon corps.

Je réussis enfin à voir ma gynécologue, de retour à son cabinet ; elle m’écoute, m’examine et organise sur le champ mon hospitalisation.

On me retira en urgence un ovaire et une trompe, envahis par un énorme abcès ; j’allais faire une péritonite. Au réveil, le professeur René Frydman qui m’avait opérée m’a dit deux choses : « Vous pouvez remercier le Dr Cabau, elle vous a sauvé la vie, mais je suis désolé, vous n’aurez jamais d’enfant… » J’avais 21 ans, adieu la pilule…

“Elle trouvait très délicat de se retrouver à écrire avec une de ses jeunes patientes, stérile de surcroît. Cela lui posait un sérieux problème déontologique.“

Des années après, lors d’un de mes RV de routine avec ma gynécologue, devenue ma sauveuse, elle me raconte – car j’étais éditrice – combien elle est embarrassée, car Flammarion venait de l’appeler pour lui commander un ouvrage sur la stérilité. « Je ne sais pas écrire, moi, ce n’est pas mon métier. Oui, j’ai beaucoup de choses à dire aux femmes, comment marche leur corps, quoi faire quand le bébé n’arrive pas, quels traitements existent, quels espoirs pour demain, le drame du Distilbène, etc. ; mais un livre, ça, non, j’en suis incapable ! »

Anne CABAU Pour Que L Enfant Paraisse Flammarion Reseau DES France Distilbene

Elle m’avait sauvé la vie, je lui ai donc aussitôt proposé de l’aider. Je ne savais pas encore quand ni comment, mais à ce moment-là, rien n’était plus important pour moi que de la convaincre d’accepter de faire ce livre.

Ma proposition la gêna beaucoup : elle trouvait très délicat de se retrouver à écrire avec une de ses jeunes patientes, stérile de surcroît. Cela lui posait un sérieux problème déontologique.

Mon insistance a dû finir par la décider… car après mûre réflexion, elle s’est lancée : elle rédigeait au feutre bleu turquoise, le soir et le week-end ; je la retrouvais chez elle deux soirées par semaine, j’embarquais un chapitre et lui rapportais celui que j’avais relu, et corrigé, au feutre noir. J’avais surtout une foule de questions à lui poser, car la médecine n’est pas une science –un art aussi– si facile à vulgariser ; or nous voulions toutes les deux que n’importe quelle femme puisse comprendre chaque mot du livre.

“J’ai alors découvert […] son courage, aussi, lors du scandale du Distilbène, […] où elle avait bataillé durement pour qu’il éclate, se faisant rejeter par une grande partie du corps médical et menacer de sanctions par le Conseil de l’Ordre“

Il était fascinant d’avoir pour moi seule cette praticienne exceptionnelle, à qui je pouvais demander de tout m’expliquer, en détails, pendant des heures. J’ai alors découvert la très grande acuité de son intelligence, l’ampleur de ses connaissances, son courage, aussi, lors du scandale du Distilbène, dont elle avait compris l’importance, et où elle avait bataillé durement pour qu’il éclate, se faisant rejeter par une grande partie du corps médical et menacer de sanctions par le Conseil de l’Ordre ; son engagement total, enfin, auprès des femmes : celles- ci n’étaient pas seulement des « patientes » mais des êtres complexes, chacune avec une histoire personnelle, une histoire familiale, des émotions, des sentiments, un inconscient. Anne Cabau savait aussi, pour l’avoir vécu, et le vivre encore, combien nous pouvions être prisonnières ou victimes d‘une époque, des préjugés ambiants et d’inégalités flagrantes. Elle tenait compte de tout cela quand une femme – ou un couple – venait la consulter. Ce fil rouge court tout au long du livre.

Un an plus tard, il sortait en librairie sous le titre qu’elle avait trouvé : Pour que l’enfant paraisse. Il a connu un vrai succès. Au même moment, j’accouchai de ma fille, grâce à Anne qui avait, par une décision médicale géniale, au tout début de notre collaboration, réussi à lever la malédiction de ma stérilité.

Nous avions élaboré l’ouvrage pendant que j’étais enceinte et nous avons fêté ensemble, fin 1989, la naissance du livre et celle de ma fille.

Je me sens orpheline de cette très grande dame. Comme le sont peut-être les centaines, les milliers de femmes qui toutes, à un titre ou à un autre, lui doivent quelque chose.

Alors, n’oublions pas ses combats, sa générosité et sa magnifique humanité.

Et continuons de les faire vivre.

Marie-Pierre Levallois