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Publication d’un cas de cancer ACC chez une « petite-fille Distilbène »

23 novembre 2020

Ce 6 novembre, le Midi Libre a publié un article intitulé : “À Montpellier, un cas rarissime de cancer du vagin à 8 ans dû au distilbène, un perturbateur endocrinien

Cet article de presse a évidemment ravivé les craintes que nous avons tous : que l’histoire se répète.

Il y a une discordance entre le titre du Midi Libre et l’article médical, puisqu’il ne s’agit pas d’un cancer du vagin, mais du col utérin. Cela peut paraître anecdotique, comme différence, mais en fait cela ne l’est pas.

Le Pr Tournaire analyse pour nous l’article scientifique publié par l’équipe Montpelliéraine : “il s’agit d’un premier cas dans le monde, rapporté par l’équipe d’Endocrinologie-Gynécologie Pédiatrique du CHU de Montpellier(1), 10 ans après avoir pris en charge la jeune patiente.”

L’observation médicale

Il s’agit d’une enfant de huit ans chez qui des saignements répétés ont conduit à découvrir un cancer ACC du col de l’utérus. La tumeur étant de petite taille, le traitement a consisté en une opération avec ablation de la tumeur et du col de l’utérus, suivie de radiothérapie (après transposition des ovaires pour protéger la fertilité). L’évolution est favorable dix ans après le traitement. Les règles étant apparues à onze ans, sa fertilité devrait être conservée Sa mère avait été exposée au DES in utero. Il s’agit donc bien d’un cas d’ACC chez une « petite-fille », de troisième génération.

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Cette nouvelle publication nous amène à répondre à plusieurs questions :

  • Qu’est-ce que l’ACC ?
  • Y-a-t-il un excès d’autres cancers dans la troisième génération ?
  • Peut-on retenir un lien de cause à effet entre la prise de DES par la grand-mère et ce cancer ?
  • Que retenir en pratique pour les « familles DES » et les professionnels de santé ?

L’Adénocarcinome à Cellules Claires

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Cette appellation vient de l’aspect particulier, transparent, des cellules de ce cancer à l’examen au microscope.

La découverte du lien entre exposition in utero au DES et ACC date de 1971 (Herbst 1971).

Cependant les ACC se rencontrent aussi en dehors de l’exposition au DES.

Dans les articles rassemblant de nombreux cas d’ACC, publiés aux États-Unis comme aux Pays- Bas, 2/3 des cancers étudiés sont survenus chez des « filles DES » et 1/3 chez des femmes non exposées in utero à la molécule. (Herbst 1990, Hanselaar 1997, Huo 2018).

La localisation de ces cancers est différente dans les deux populations :

• après exposition in utero, 2/3 des tumeurs sont vaginales et 1/3 sur le col utérin

• en l’absence d’exposition, la proportion est inversée : 1/3 sont vaginales et 2/3 sur le col.

Chez les « filles DES », un pic de fréquence se produit à 21 ans, mais des cas plus tardifs sont maintenant rapportés. Chez les femmes non exposées, un pic se situe aussi près de 20 ans, mais avec un deuxième pic à 71 ans.

C’est en raison de ce deuxième pic chez les femmes non exposées que, par précaution, il est conseillé de poursuivre le dépistage chez les « filles DES » qui commencent à atteindre cette tranche d’âge. (Rappelons qu’en France, les femmes exposées in utero ont, en 2020, entre 43 et 70 ans.)

Le risque d’ACC chez les « filles DES, longtemps estimé à 1 sur 1000, a été réévalué à 1 sur 635 (Troisi 2007) en tenant compte des cas survenus « tardivement ».

Dans l’observation publiée, il s’agit d’un premier cas d’ACC chez une « petite-fille DES ». La particularité tient au jeune âge de cette patiente, 8 ans. Seulement 9 cas survenus avant 10 ans ont été recensés dans la littérature, 8 sans antécédent d’exposition au DES et un cas à 7 ans après exposition au DES in utero (Herbst 1990).

Autres cancers dans la troisième génération ?

Des études chez la souris ont attiré l’attention, en rapportant des cas de cancers de l’utérus dans la troisième génération, renforçant la vigilance des chercheurs.

Parmi les nombreuses études sur les « petits- enfants DES », une seule avait rapporté, en 2008, trois tumeurs des ovaires (une lésion cancéreuse et deux « borderline »), ce qui était supérieur au chiffre attendu (Titus 2008). Il n’y a pas eu depuis cette date d’autres cas rapportés. On peut donc espérer que ces cas étaient liés au hasard ou à un biais de recrutement.

Deux hypothèses sont évoquées pour expliquer cet éventuel effet sur la « troisième génération DES ». Il pourrait s’agir d’une action de la molécule sur les cellules germinales, futurs ovules ou futurs spermatozoïdes, déjà présents dans les ovaires ou les testicules de l’embryon.

La deuxième hypothèse serait celle d’une transmission par phénomène épigénétique, c’est- à-dire non pas une mutation des gènes, mais des changements des messages entre les gènes et les cellules.

On peut rappeler que ces deux mécanismes ont été évoqués pour expliquer l’augmentation de certaines malformations observées dans la « troisième génération DES », tout spécialement les hypospadias (orifice urinaire situé sous la verge et non à son extrémité).

Lien de cause à effet

La question du lien de causalité entre exposition au DES et ACC a été très débattue dans le contexte judiciaire, en particulier lors des procès intentés par des « filles DES » (2ème génération). Le « Rapport général Goujard » (mission d’expertise indépendante, ordonnée par le TGI de Nanterre, menée entre 1994 et 1999) a conclu que « si le DES n’est pas la cause unique et incontestable de la survenue de l’ACC, elle en est un facteur de risque majeur ».

Nous avons vu que ce risque était de l’ordre de 1 sur 635 « filles DES ».

La situation est différente pour un ACC chez une « petite-fille DES ».

Il s’agit d’un premier cas alors que le nombre de « petites-filles DES » est de plusieurs millions dans le monde, dont environ 50 000 en France et qu’une large proportion a dépassé l’âge du pic de fréquence (20 ans).

Clairement, les « petites-filles DES » ne répliquent pas le niveau de risque d’ACC observé chez leur mère. Le risque d’ACC chez les femmes non exposées est faible, mais il n’est pas nul. Il a été évalué en France à 1 sur 160 000 femmes.

Au total, il n’est pas possible de trancher entre un effet transgénérationnel du DES ou un cancer lié au hasard, cette dernière hypothèse étant cependant de loin la plus vraisemblable.

Le DES, modèle des perturbateurs endocriniens.

Cette observation appelle un commentaire sur certaines publications récentes venant de Chine :

• Les unes rapportent des séries de cancers ACC sans prescription de DES prénatale (Jiang 2014).

• D’autres démontrent la présence de perturbateurs endocriniens, dont le DES, à des niveaux significatifs dans les urines humaines. Le DES est employé en Chine comme « complément alimentaire » dans l’élevage. (Zhang 2017)

Ainsi, les femmes qui n’ont pas été exposées par une prescription de DES en cours de la grossesse de leur mère, sont peut-être exposées de nos jours par la nourriture consommée par les femmes enceintes.

Conclusion pratique : que retenir ?

1- Ce premier cas d’ACC chez une « petite-fille DES » est exceptionnel, puisque des millions d’entre elles dans le monde ont dépassé l’âge du pic de cancer (20 ans), sans avoir développé d’ACC.

2 – On se doit cependant de retenir cette observation comme un signal d’alerte à garder à l’esprit.

3- Ceci demande que les pédiatres, les gynécologues et les « familles DES » soient informés. Pour cette raison, nous avons rapporté cette publication dans notre Guide Pratique.

Pr Michel Tournaire

1) Gaspari L, Paris F, Cassel-Knipping N, Villeret J, Verschuur A, Soyer-Gobillard MO, Carcopino-Tusoli X, Hamamah S, Kalfa N, Sultan C. Diethylstilbestrol exposure during pregnancy with primary clear cell carcinoma of the cervix in an 8-year-old granddaughter: a multigenerational effect of endocrine disruptors? Hum Reprod. 2020 Nov 4:deaa267. doi: 10.1093/humrep/deaa267. Epub ahead of print. PMID: 33147330.