Sans son travail, nous ne saurions probablement rien des conséquences du DES, nous les subirions totalement.
Parfois la conjonction d’événements offre la possibilité d’un miracle, mais seulement si des individus en reconnaissent les signes et agissent. C’est ce qui s’est produit il y a 50 ans à Boston (1).
Dans la 2ème moitié des années 60, l’équipe de gynécologues-oncologues du Massachusetts General Hospital s’était vue adresser 7 jeunes filles de la région, âgées de 14 à 24 ans et toutes touchées par un cancer rare du vagin, jusque là observé chez des femmes nettement plus âgées.
En 1970, le Dr Arthur Herbst et ses collègues avaient publié un article scientifique, alertant sur cette situation et indiquant ne pas pouvoir apporter d’explication sur ce phénomène.
Une 8ème jeune fille fut traitée dans un autre hôpital de Boston.
La mère d’une des patientes leur demanda si le traitement pris durant sa grossesse pour éviter une fausse-couche pouvait être en cause.
Les médecins vérifièrent les prescriptions faites à ces huit mères : sept d’entre elles avaient reçu du DES durant leur grossesse. Par ailleurs, aucune des filles nées à la même période dans les mêmes hôpitaux et non-exposées au DES, n’avait développé de cancer vaginal.
Un «avant» et un «après»
L’article paru le 22 avril 1971 dans le New England Journal of Medecine résolvait le mystère de la survenue de ces cancers.
Avant cette publication, les médecins n’imaginaient pas qu’une pathologie survenant à l’âge adulte pouvait être due à une exposition in utero. Il s’agissait là d’un concept révolutionnaire.
Le débat suscité par ces travaux a contribué à ce que des diagnostics de tumeurs soient posés précocement chez des jeunes filles qui, sinon, n’auraient pas eu d’examen de contrôle.
Ils ont également apporté à la médecine un nouvel angle de recherches. Il est rare que les publications scientifiques sur les perturbateurs endocriniens ne fassent pas référence à l’article du 22 avril 1971.
Le Dr Herbst reconnaît que sans la mobilisation de tous autour de cette conjonction d’éléments, les dangers de l’exposition au DES n’auraient pas été découverts en 1971, voire n’auraient jamais été découverts.
L’implication du Dr Herbst vis-à-vis des personnes exposées au DES et sa ténacité à poursuivre ses recherches n’a jamais faibli : pour la mise en place d’un registre des cancers ACC, le projet DESAD, la création de la DES FollowUp Study…
Pat Cody, aux Etats- Unis (2) :
«Je lisais le journal, un matin d’avril 1971, lorsqu’un titre a retenu mon attention “Un médicament transmet une forme de cancer aux filles“. En lisant l’article, j’ai été prise d’angoisse. C’était bien de moi qu’il s’agissait ; je me souvenais avoir pris ces petites pilules quatre fois par jour pendant sept mois, au cours de ma grossesse.»
A la suite de cet article, Pat va continuer de s’informer et partagera l’information. Elle demande au ministère fédéral de la santé à Washington ce qui était fait pour avertir les millions de femmes ayant pris du DES. On lui répond qu’une étude est en cours, nous ne voulons pas affoler les femmes : la question du DES était en train d’être occultée par la bureaucratie. Pat Cody et celles qui l’ont rejointe ne cesseront d’œuvrer pour que des recherches sur les conséquences de l’exposition in utero au DES soient entreprises. Ainsi, en 1975, L’institut National de santé (National Institut Health) débutera le projet Adénose et DES (DESAD), première étude gouvernementale sur le DES. En 1978, Pat Cody co-fondera DES Action USA.
Dr Anne Cabau, en France (3), lanceuse d’alerte :
« [j’ai appris que le DES posait problème] sans doute en 1972, lorsque Herbst est venu pour faire une conférence à Paris sur les premiers cas publiés de cancer du vagin (NDLR : Anne Cabau était gynécologue).
Je me souviens du choc que j’ai éprouvé en découvrant qu’un traitement hormonal que l’on pensait jusque là utile et inoffensif, largement prescrit chez les femmes enceintes qui risquaient de faire une fausse couche, pouvait induire un cancer non pas chez la femme traitée mais chez sa fille, et en plus ce cancer n’apparaissait que 15 à 20 ans après la naissance.
On avait longtemps pensé que le placenta constituait une barrière infranchissable entre la mère et son fœtus. Cette idée fausse n’avait pas résisté à l’affaire de la thalidomide, mais il ne faut pas oublier que la thalidomide provoquait des malformations des membres des enfants, visibles dès la naissance, alors que là on allait découvrir des malformations génitales invisibles à la naissance dans la plupart des cas. »
Aux Pays-Bas (4)
En 1981, le journal national Volksrant publia une série d’articles sur les dangers du DES dans l’alimentation animale. Anita Direcks, qui avait récemment découvert qu’elle était une « fille DES », fut agacée par l’absence de référence à l’exposition chez l’homme. Elle écrivit une lettre au rédacteur en chef (publiée le 28 février 1981) et elle fut contactée par Ellen ‘t Hoen. Ce fut le premier pas vers la constitution d’un groupe Action DES aux Pays-Bas. En août 1981, une journaliste néerlandaise qui avait interviewé Pat Cody les contacta et écrivit un article avec les témoignages d’Ellen et d’Anita, accompagné d’un numéro de téléphone. Elles furent submergées par les appels : elles n’étaient pas que deux à être concernées… Elles créèrent un premier réseau de gynécologues informés du DES et rencontrèrent Pat Cody.
DES Action Pays-Bas a eu un rôle prépondérant en Europe en organisant plusieurs colloques.
En 2021, le combat pour la poursuite des recherches sur le DES reste d’actualité.
Sources de l’article :
1 : paragraphes largement inspirés de la publication de DES Action USA : DES Voice #127 et #128 (Winter et Spring 2011)
2 : La Lettre n°14, déc. 2006
3 : La Lettre n°18, déc. 2007
4 : La Lettre n°16, juil. 2007