Vers la cinquantaine, ma mère m’a annoncé que j’étais un « bébé Distilbène » et que ce médicament était peut- être responsable de toutes les difficultés que j’avais rencontrées pour concevoir nos deux filles.
Elle m’a parlé des problèmes liés à ce médicament car étant dans le corps médical, elle ne pouvait les ignorer… d’autant plus qu’elle a eu un cancer des ovaires à l’âge de 36 ans avec hystérectomie et une ménopause précoce.
De mon côté, je suis née prématurément en 1962 et avec mon époux, nous avons été confrontés à des soucis de fertilité. Pour la conception de nos deux filles, j’ai eu 17 traitements, comme le Clomid, l’Humégon, l’Inductor ou le Néopergonal. Des inséminations artificielles ainsi que des fécondations in vitro (FIV) ont suivi.
Pour la première de nos filles, née en 1991, la conception s’est faite grâce à l’Humégon, la seconde, née en 1999 après des FIV sans succès, est arrivée sans traitement, mais avec l’aide de l’Humégon au cycle précédent.
J’ai consacré 10 ans de ma vie de femme pour avoir nos deux filles, mais nous avons eu la chance que cela « marche » deux fois. Dix ans de protocole médical, d’examens, de cœlioscopie, de stimulations ovariennes, d’attentes, d’espoirs, de déceptions, en essayant d’avancer et de rester positifs. Pour l’aînée de nos filles, comme le gynécologue craignait une malformation pour le bébé suite à la stimulation, j’ai eu une amniocentèse au 6ème mois, avec la crainte d’accoucher trop tôt… Heureusement, elle est venue au monde normalement.
Me posant des questions sur les « générations DES », car notre fille aînée doit accoucher de son premier enfant au mois de décembre, j’ai pris contact par internet avec l’association Réseau D.E.S. France, afin de me documenter un peu mieux. Notre fille née en 1991 n’a pas rencontré de problème de fertilité.
Nos deux filles sont sensibilisées au Distilbène, à mon parcours, et notre aînée en a informé son gynécologue. Mon gynécologue actuel est sensibilisé aux conséquences du Distilbène et à ma dernière visite, il m’a suggéré de voir si je pouvais bénéficier d’une prise en charge à 100% pour la consultation annuelle avec un frottis. Malheureusement, il faut encore attendre.
Pour le moment, je n’ai pas de problème mais je reste très à l’écoute.
Mon grand regret est d’avoir appris très tard que j’avais été exposée au Distilbène avant ma naissance ; j’aurais pu en parler et cela m’aurait aidée à comprendre pourquoi j’ai eu toutes ces difficultés, pourquoi je suis née plus tôt… Je ne peux plus en discuter avec ma mère qui est décédée, mais j’espère que mon témoignage pourra servir pour que nous, « 2ème génération Distilbène », nous puissions être mieux reconnues et bien accompagnées pour notre suivi gynécologique.
Je souhaite que l’association puisse continuer son travail d’information, d’aide, de conseil, de batailles pour toutes les générations et qu’une avancée se concrétise pour la visite annuelle.
Je pense aussi à ma mère, « 1ère génération Distilbène » qui a eu ce cancer des ovaires, dont une partie de sa vie de femme a complètement changé dès ses 36 ans. Il ne faut pas oublier le passé, ne pas nous oublier.
Malgré le contexte sanitaire actuel, nous existons et nous attendons plus de reconnaissance, car nous avançons avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Anna
RÉPONSE ET COMMENTAIRE DU PROFESSEUR TOURNAIRE
Ce témoignage est représentatif des nombreux messages reçus à l’association. Il s’agit de faire le tri entre ce qui peut être lié au DES, demandant parfois une prise en charge particulière, et ce qui ne l’est pas. Dans ce message les questions concernent les trois générations DES.
1ère génération, « mère DES ».
Un cancer de l’ovaire s’est produit à 36 ans. À notre connaissance, aucune étude n’a rapporté d’augmentation des cancers de l’ovaire dans cette génération. Le seul type de cancer qui s‘est avéré plus fréquent chez les « mères DES » est le cancer du sein pour lequel plusieurs études ont trouvé une augmentation de l’ordre de 30 %. Notons que cette augmentation est considérée comme modeste et qu’en l’absence d’autres facteurs de risque de ce cancer, le dépistage est le même que celui recommandé pour la population générale.
2ème génération, « fille DES ».
L’infertilité a demandé 10 ans d’une lourde prise en charge pour parvenir à la naissance de deux filles; situation fréquente chez les « filles DES » puisque 30% d’entre elles ont été amenées à consulter pour infertilité (10% environ dans la population générale). On comprend le regret d’Anna d’avoir appris tard qu’elle était « fille DES ». Comme elle l’écrit, cette révélation l’aurait aidée à comprendre et à mieux affronter les difficultés. Sur un plan purement médical, on peut cependant rappeler que les traitements de l’infertilité ne sont pas notablement différents pour les « filles DES » comparées aux autres femmes.
3ème génération, « petites-filles DES ».
Les « familles DES » expriment souvent leur inquiétude de voir se reproduire les accidents observés dans la 2ème génération. Il ressort de deux études, l’une américaine, l’autre française, que la 3ème génération ne réplique pas les lourds problèmes d’infertilité et de grossesses de la génération précédente. Il est déjà établi qu’il n’y a pas d’augmentation de l’infertilité. En ce qui concerne l’évolution des grossesses, les résultats sont discordants selon les études, certaines rapportant une légère augmentation du taux de fausses-couches ou de prématurité, d’autre non. Il faut donc attendre que cette génération ait avancé en âge pour collecter plus d’informations, avec des résultats fiables.
Nous espérons vous avoir apporté quelques informations utiles.
Si ce témoignage et les réponses vous ont inspiré d’autres questions concernant le DES, n’hésitez pas à nous en faire part.