J’ai 48 ans, je suis née en 1961.
J’ai appris à 27 ans, en 1988, il y a 21 ans, que j’avais un utérus en T, après 2 ans de Procréation Médicalement Assistée, et par la suite mon exposition au distilbène.
Je suis mariée depuis 26 ans.
J’ai fait 6 fausses couches de grossesse spontanée, autant de tentatives d’insémination artificielle, de FIV, et de traitements en tout genre, sans plus de succès.
Mon corps s’est gonflé d’hormones et de doutes quant à leurs effets indésirables futurs. N’est-ce pas un paradoxe que de se faire soigner par des hormones, quand l’une d’entre elles est cause de votre problème !
Dans ces moments-là, il vaut mieux se mettre des œillères pour ne pas s’affoler !
J’ai vécu mes débuts de grossesses dans la terreur, comptant chaque jour qui passe comme un bagnard qui attend la fin de son interminable peine.
Avec une autre type de délivrance que celle espérée au bout du chemin.
Et aussi un nouveau chagrin.
J’ai connu une grossesse extra-utérine qui m’a fait violence à la fois physiquement et psychiquement : ça commençait à faire trop ! Pourquoi vouloir donner la vie quand ceci pouvait être si dangereux !
Autant faire son deuil et passer à autre chose !
Celle-ci fut suivie un an plus tard d’une grossesse gémellaire, qui se présentait, dès son annonce, problématique au vu de la taille de mon utérus resté infantile.
La fausse couche aspirée, moi interdite devant tant de cruauté inutile, mon utérus fragilisé s’est clos par une synéchie, qui s’est vue percée 3 mois plus tard par hystéroscope, sans anesthésie.
J’ai dû traverser autant de paradoxes que de questions éthiques : comment accepter de faire une FIV quand vous apprenez qu’il pourrait y avoir modification du génome et transmission à la troisième génération ? Pourquoi faire rencontrer un tel destin à un de ses enfants quand le sien déjà demande tant de courage?
Je redoute d’aller chez un gynécologue car à chaque fois, cela me fait mal.
Tout finit par devenir agressif : leurs gestes comme leurs paroles et je ne suis pas douillette.
Pinces, piqûres, prises de sang, biopsies pour les stigmates d’une adénose lié au DES, explorations en tout genre dans l’utérus : hystérographies, cœlioscopies, hystérosco- pies, échographies, bilans, hospitalisations, et j’en passe…
Et même si j’ai perdu le combat, je dois encore y retourner :
21 ans d’expérience du DES m’ont enseignée que j’étais née avec un épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Et ce sans doute pour le restant de mes jours, car à l’horizon se profilent d’autres inquiétudes : celles que tous ces traitements hormonaux pourraient encore déclencher, sans parler du risque d’adénocarcinome à cellules claires qui remonte dans les courbes autour de la ménopause, ou encore du cancer du sein…
Je ne vous ai résumé que le volet médical de mon histoire et je ferai l’impasse sur les conséquences que cela eu dans ma relation à ma mère et dans la gestion de sa culpabilité, dans ma relation à mon mari, à mon couple, à ma famille, à mes amis, à la société…
Impasse sur les différents deuils que j’ai eu à traverser : celui de mon désir d’enfant et celui de l’enfant réel spontanément avorté, jusqu’à celui de la grand-maternité dans une prise de conscience beaucoup plus récente…
Impasse encore sur d’autres épreuves incidentes comme faire face à l’éprouvé de la rivalité fraternelle ou encore transformer son rapport à la succession matérielle et symbolique par cette rupture dans la chaîne des générations…
Sans parler de toutes les culpabilités intestines dans mon corps programmé pour la survie de l’espèce pourtant condamné dans ce combat stérile.
J’ai appris au cours du temps que j’étais porteuse d’un handicap qui ne se voit pas, ni reconnu, ni homologué.
Je suis porteuse d’un syndrome qui ne se guérit pas.
Voilà en quelques mots 26 ans d’un vécu décliné pourtant dans son quotidien.
Le distilbène m’a coupée de la maternité biologique alors que toutes mes cellules réclamaient cette expérience de porter la vie en moi.
Le distilbène m’a exclue de cette initiation dans le devenir femme.
Une femme sans enfant ne reste-t-elle pas au fond une fille ?
Aujourd’hui, tout droit de reproduction interdit, il ne me reste plus qu’à transmettre cette expérience de vie toute relative, car je ne suis pas plus qu’une autre, un cas plus exemplaire du DES.
Des histoires bien plus douloureuses et plus cruelles sont arrivées à tant d’autres, comme avoir un cancer au sortir de la puberté, ou donner naissance à un handicapé à vie par son accouchement prématuré ; des histoires graves quand le cancer arrache à la vie une jeune femme, ou quand la mort rencontre la naissance d’un enfant si longtemps, si ardemment attendu…
Cela fait 15 ans que j’ai rejoint l’association. D’abord pour découvrir à quelle réalité j’avais à faire face, mais aussi pour essayer de comprendre ce que je pouvais faire de cela.
J’ai partagé des tas d’histoires à la fois proches et lointaines, le plus souvent malheureuses, c’est le lot des associations.
J’ai entendu des chapelets de traumatismes répétitifs, cumulatifs, de catastrophes, de rejets et d’abandons, …
Et comment pour ceux qui les entendent, s’y reconnaître sans s’identifier pour continuer vaillamment la route, ce chemin fait d’épreuves, d’épines et de rocailles qui vous blessent à chaque pas.
La contamination par l’angoisse rôde. C’est normal, nous touchons à l’utérus.
Toutes ces expériences de vie ont réveillé en moi de la colère, de la révolte, de la peur, du déni, de l’impuissance, du désespoir, de la tristesse, de l’incompréhension, des questions, des espoirs, des désillusions…
J’ai ressenti le besoin de rejoindre une association :
- pour m’informer, car l’expérience du distilbène m’a marquée au plus profond de ma chair, du sceau du doute.
- pour m’accompagner par exemple dans mes décisions face aux choix de différentes techniques thérapeutiques : ainsi l’hystéroplastie d’agrandissement, technique non évaluée à l’époque, mais qui m’était si facilement proposée…
- pour l’intérêt de la prévention : car ma conviction est qu’un homme averti en vaut deux !
Pour cela, j’ai un immense besoin que des recherches effectives et impartiales soient menées honnêtement.
C’est le moins que l’on nous doit.
Sinon à qui se fier ?
Comment pourrai-je faire confiance aux seuls laboratoires pharmaceutiques pour conduire leurs recherches ?
Je vous ai témoigné un peu de mon histoire dans le seul intérêt de défendre une éthique de la responsabilité.
Car comment et à qui répondre lorsqu’on est juge et partie ?
Que pourrait-on attendre de tels soliloques ?
Je suis profondément indignée comme citoyenne qu’un tel projet de réforme puisse oser même être pensé.
De quoi vous donner la chair de poule…
Pour conclure sur ces derniers propos qui n’engagent que moi-même :
Qu’au moins notre mauvaise expérience collective du DES vécue dans notre quotidien puisse servir aux autres et aux générations futures.
Merci de m’avoir écoutée.
Constance
NDLR :
Constance, alors vice-présidente de l’association avait témoigné lors de la “Pilule d’Or” 2010, manifestation organisée par la Revue Prescrire. Une réforme de la pharmacovigilance européenne était en cours et le thème de la conférence-débat était « Effets indésirables des médicaments : connaissance ou ignorance ? L’Europe à l’heure des choix »
Anne Levadou, présidente de l’association était intervenue pour rappeler l’histoire du DES.